Ce que le jour doit à la nuit by Khadra Yasmina

Ce que le jour doit à la nuit by Khadra Yasmina

Auteur:Khadra, Yasmina [KHADRA, Yasmina]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Algérienne, Adapté au cinéma
Éditeur: Alain331 - Taz
Publié: 2008-10-21T22:00:00+00:00


13

Le printemps gagnait du terrain. Les collines recouvertes de duvet miroitaient aux aurores comme une mer de rosée. On avait envie de se mettre à poil et de s’y jeter la tête la première, de nager dans l’herbe jusqu’à épuisement, puis d’aller s’étendre au pied d’un arbre et de rêver, une à une, de toutes les belles choses que le bon Dieu faisait. C’était grisant. Chaque matin était un coup de génie ; chaque instant que l’on volait au temps nous livrait une part d’éternité. Rio, sous le soleil, était du pain bénit. Là où l’on posait la main, on levait le songe ; nulle part mon âme n’avait été si proche de la paix. Les rumeurs du monde nous parvenaient débarrassées des cacophonies susceptibles de fausser le bruissement thérapeutique de nos vignes. On savait que la situation s’enfiévrait au pays, que les colères couvaient dans les soubassements populaires ; les gens du village n’en avaient cure. Ils élevaient autour de leur bonheur des remparts imprenables en s’interdisant d’y creuser des fenêtres. Ils ne voulaient rien voir d’autre que leur beau reflet dans la glace auquel ils clignaient de l’œil avant de se rendre dans les vergers cueillir des soleils par paniers entiers.

Il n’y avait pas le feu. Le raisin promettait des vins festifs, des bals tourbillonnants et des alliances bien arrosées. Le ciel gardait intact son bleu immaculé, et il n’était pas question de laisser les noirceurs d’ailleurs l’assombrir. Après le déjeuner, je sortais sur le balcon m’oublier une bonne demi-heure sur ma chaise à bascule à contempler le vert échancré tapissant la plaine, l’ocre des terres ardentes qui le sillonnaient et les mirages chamarrés en train de se déhancher au loin. C’était un spectacle enchanteur, d’une quiétude cosmique ; il me suffisait de laisser mon regard vadrouiller à sa guise pour m’assoupir. Tant de fois, Germaine me trouvait la bouche ouverte et la nuque rejetée sur le dossier de mon siège ; elle rebroussait chemin sur la pointe des pieds pour ne pas me réveiller.

À Río Salado, nous guettions l’été, confiants. Nous savions que le temps était notre allié, que bientôt les vendanges et la plage nous insuffleraient une âme supplémentaire pour profiter pleinement des fêtes et des cuites homériques. Déjà les amourettes naissaient au farniente comme éclosent les fleurs au petit matin. Les filles haussaient le ton sur l’avenue, flamboyantes dans leurs robes légères qui dévoilaient leurs bras de sirènes et une partie de leur dos bronzé ; les garçons devenaient de plus en plus distraits sur la terrasse des cafés et s’embrasaient comme une allumette quand on furetait dans leurs petits secrets faits de soupirs et de rêveries torrides.

Mais ce qui fait battre le cœur de certains prend d’autres à la gorge : Jean-Christophe rompit avec Isabelle. Sous les portes cochères, on ne parlait que de leur idylle turbulente. Mon pauvre ami dépérissait à vue d’œil. D’habitude, dans la rue, il trouvait inévitablement le moyen d’attirer l’attention sur lui. Il aimait interpeller une connaissance du bout



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